Accouchement surmédicalisé : Comment en est-on arrivé là?

Accouchement surmédicalisé : Comment en est-on arrivé là?

L’image actuelle de l’accouchement surmédicalisé, où tout doit être surveillé par crainte de problèmes, fait grandement contraste avec le caractère naturel et normal qu’elle devrait plutôt avoir. En effet, pour que toutes espèces puissent survivre, naître doit être/rester un acte normal. Qu’est-ce qui nous a amené à percevoir la naissance comme une étape dangereuse et effrayante ?    

Pour la majorité des sociétés tribales la naissance était un rituel sacré tandis que pour les sociétés plus modernes, la façon d’accoucher était déterminée par la classe sociale.

Au Moyen-âge

Accouchement surmédicalisé : comment en est-on arrivé là? | Cocoon Bien NaîtreEn effet, dès que le mode chasseur-cueilleur fût terminé et que les classes sociales ont émergés, un clivage dans la périnatalité est apparu. Bien que toutes les classes sociales fussent encouragées à se reproduire, principalement pour assurer la survie de l’espèce, les classes supérieures avaient des avantages marqués favorisant la reprise de la vie mondaine (récupération plus rapide de la femme après l’accouchement grâce à des nourrices qui prenaient entièrement l’enfant en charge, grossesses somme toutes assez reposantes, etc.). Les femmes des classes inférieures quant à elles travaillaient jusqu’au jour de l’accouchement et immédiatement après la naissance, par obligation pour permettre la subsistance de la famille. La malnutrition, les maladies et le fait qu’à vingt ans les femmes avaient déjà pour la plupart plusieurs enfants accentuait ce clivage social.  Les classes supérieures avaient également accès plus facilement aux dernières connaissances et techniques médicales, néanmoins cela n’a pas toujours été une bonne chose. De leur côté, les femmes des classes inférieures devaient souvent se débrouiller seules où au mieux avec l’expérience d’une femme en ayant déjà aidé une autre.

Tout cela contrastait beaucoup avec les rituels transmis de femmes à femmes des sociétés tribales comme en Amérique du sud, dans les cultures amérindiennes et africaines.

A la Renaissance  

Accouchement surmédicalisé : comment en est-on arrivé là? | Cocoon Bien Naître Avant la Renaissance, il était très rare que les chirurgiens aient à participer aux naissances. Puis les médecins ont commencé tranquillement à prendre une plus grande place dans la sphère périnatale, non sans lutte. Il faut dire qu’en réalité, tout ce qui touchait à la santé féminine n’était pas du tout abordé par les médecins de l’époque, principalement, encore une fois, à cause de la notion sociale.  

Les femmes devaient être complètement couvertes pour ne rien laisser voir aux médecins, ce qui aurait été à l’encontre des bonnes mœurs. Ces derniers n’étaient qu’observateurs et ne pouvaient pas intervenir dans le processus de l’accouchement. Il était hautement inconvenant pour un homme de prendre part au processus intime de l’accouchement. Quant aux sages-femmes, elles ne voulaient pas renoncer à leur savoir ni à leur expertise dans le domaine. Les sages-femmes avaient l’expérience de leur côté; les médecins avaient le pouvoir qui vient avec le titre. La plupart des écrits et des conseils formulés à l’époque proviennent d’éminents médecins et beaucoup de leurs conseils émanent de conjectures provenant de simples observations plus que de leur pratique.

Au 17e et 18e Siècles

Alors que l’Europe est devenue plus populeuse dans les 17e et 18e siècles, les maladies transmissibles sont la principale cause de décès lors de l’accouchement. La fièvre puerpérale (liée à une infection bactérienne qui est apparaît dans les jours suivant l’accouchement) lors de naissances assistées par un médecin était fréquente. La hausse des taux d’accouchement dans les hôpitaux impliquée que de nombreuses femmes donnaient naissance dans une grande proximité sans qu’aucune règle d’hygiène ne soit adoptée. Il a fallu attendre l’arrivée des théories sur les germes pour que les médecins comprennent qu’il était impératif qu’ils se lavent les mains entre chaque patiente. Ce qui a par la suite grandement amélioré le taux de survie des mères et des nouveau-nés en milieux hospitalier. 

Les pionniers qui se sont installés dans l’Ouest américain n’avaient pas beaucoup plus de chance que leurs homologues de l’Est ou d’Europe. Les médecins et les sages-femmes étaient rares. Les sages-femmes qui étaient en mesure d’aider à l’accouchement avaient rarement plus de connaissances que leur propre expérience de naissance. La mortalité infantile était donc élevée. L’isolement des familles en campagne avait au moins l’avantage de minimiser la propagation des maladies.

A partir du 19e Siècle

En 1847, Young Simpson commença à utiliser le chloroforme comme anesthésiant. Très rapidement, la pratique obstétricale l’adopta. Les femmes étaient endormies durant le travail. Le clergé freinait cependant cette pratique pour des raisons religieuses pour lequel le dogme « Tu enfanteras dans la douleur » reste d’actualité.

Il ne faut surtout pas oublier le contexte hospitalier de la périnatalité du début des années 1900. À cette époque, c’est le « Twilight sleep » qui avait préséance pour les accouchements. Cette technique impliquait l’injection de morphine et de scopolamine aux femmes en travail. Ces injections faisaient en sorte qu’une femme en travail non seulement ressentait moins de douleur, mais n’avait au final plus aucun souvenir de la douleur du travail ou de l’accouchement en lui-même. Cela mettait la mère complètement hors de l’expérience de la naissance et affectait également le système nerveux central du bébé provoquant un état très somnolent et une capacité respiratoire diminuée. Il a été découvert plus tard que la morphine utilisée de cette façon a grandement contribué à la mortalité maternelle de l’époque.

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En 1900, moins de 5% des femmes donnaient naissance à l’hôpital. Il s’agissait pour la très grande majorité de filles-mère sans emplois rejetées par leurs familles ou de femmes très malades à la santé précaire. N’oublions pas de mentionner l’absence de contraception à cette époque. La très grande majorité des femmes continuaient à donner naissance à domicile. Ce n’était que les plus démunies qui allaient vers les hôpitaux en dernier recours et souvent trop tard. Si à la fois la mère et le bébé survivaient à la naissance, il était excessivement rare qu’ils repartent ensemble. La très grande majorité du temps, les enfants étaient confiés à l’orphelinat.

 

Le docteur Joseph DeLee, un obstétricien très influent en 1915 fit une grande promotion de l’intervention préventive. Il proposa que les obstétriciens utilisent des interventions comme l’éther, les sédatifs,  les épisiotomies, les forceps de routine pour supprimer “the evils natural to labor.”  Il justifia l’utilisation des forceps en décrivant le travail comme étant l’équivalent d’écraser la tête d’un bébé dans une porte. Il utilisa des images semblables pour justifier l’épisiotomie nécessaire à l’utilisation des forceps. Pour lui, durant le travail, les problèmes ne devaient pas être combattus lorsqu’ils arrivaient, mais prévenu lors de tous les accouchements par l’utilisation de diverses interventions. Encore aujourd’hui, sa mentalité est très présente en obstétrique malgré un contexte sanitaire grandement différent.

Même si donner naissance à la maison était toujours considéré comme une norme culturelle jusqu’à la fin des années 1930. De 1920 à 1930, de plus en plus de femmes commencent à préférer donner naissance à l’hôpital plutôt qu’à la maison. A cette époque, l’American Hospital Association a élaboré un programme spécial d’assurance qui permettait aux femmes enceintes d’avoir accès à un accouchement à l’hôpital, normalement coûteux, pour un prix très abordable. Ce programme spécial d’assurance a évolué plus tard dans ce que nous connaissons plus communément comme la Croix-Bleu. L’accouchement médicalisé n’était donc plus seulement un privilège de la classe sociale supérieure mais était désormais accessible à tous.

 

Les femmes ont commencé à se précipiter pour avoir leurs bébés à l’hôpital. Les conditions d’hygiène s’étant améliorée, les taux de complications ont grandement diminués. Les médecins faisaient la promotion d’un accouchement sans douleur, l’anesthésie générale étant devenue une pratique courante en obstétrique à l’époque. Les femmes se faisaient promettre un travail sans douleur duquel elles ressortaient sans aucun souvenir de l’accouchement. C’est rapidement devenu “la façon moderne” d’avoir un bébé et elle a été largement acceptée par la société américaine.

Les drogues comme l’éther, le chloroforme et de l’opium étaient des anesthésiques communs. Ces médicaments non seulement bloquaient la douleur, mais provoquaient aussi l’arrêt des contractions. La réponse du médecin pour ce problème était les dispositifs invasifs comme les forceps. La femme endormie, une infirmière poussant sur le ventre pendant que le médecin sortait le bébé avec des forceps était devenu la définition d’une naissance normale. Tandis que les naissances sont suivies par des médecins hommes, les pères ne sont pas autorisés dans la salle d’accouchement, attendant confortablement dans une salle d’attente de l’hôpital l’arrivée de leur enfant. Ces derniers étaient envoyés à la pouponnière où ils passaient plusieurs jours sous les soins des infirmières en attendant que leur mère récupère. Ce fut aussi au même moment que les médecins commencèrent à proclamer que les femmes devaient cesser d’allaiter leurs bébés et donnaient du lait en bouteille, se justifiant que le biberon était un plus sanitaire, pratique et beaucoup plus sûr pour nourrir les enfants.

Par la suite, l’anesthésie générale ayant été abandonnée, les femmes donnaient naissance attachées au lit, privées de tout contrôle sur la naissance de leur enfant. On peut facilement imaginer comment les médecins de l’époque ont reçu leur enseignement sur ce qu’était un accouchement.

Dans les années 1970

Il a fallu attendre les années 70 pour que les mentalités commencent tranquillement à changer.

Frédérick Leboyer, un gynécologue et obstétricien français a émis entre autre à l’époque le postulat que le bébé ressentait des sensations physiques dès sa naissance. Dans les années 1900 la croyance populaire était que le système nerveux du bébé n’était pas suffisamment développé pour ressentir la douleur. Certaines pratiques vis-à vis du bébé se sont donc graduellement modifiées. C’est au cours de ses voyages en Inde et grâce à sa rencontre avec Svämi Prajnänpad que Frédérick Leboyer a développé sa méthode de l’accouchement doux, permettant au nouveau-né de venir au monde sans traumatisme.

Le médecin obstétricien met l’accent sur l’importance de déposer l’enfant sur le ventre de sa mère pour qu’il continue à en sentir la chaleur et le battement cardiaque. Il préconise également de couper le cordon ombilical uniquement lorsqu’il a cessé de battre. Selon lui, “ce geste facilite le passage à la respiration pulmonaire et le rend moins traumatisant. » Frédérick Leboyer précise que le plus important, c’est de laisser du temps à la mère et à l’enfant pour « être ensemble ». Il ajoute que les bruits excessifs, les mouvements brusques et les lumières trop intenses ne sont pas les bienvenus lorsqu’un enfant vient au monde.

Clair Day, Hans Voldman et Igor Charkovsky, à la même époque, ont grandement contribué à retrouver une certaine humanité dans les naissances. Igor Charkovsky a développé le concept de l’accouchement dans l’eau afin d’aider les femmes à retrouver leur capacité d’accoucher par elles-mêmes. Selon lui l’accouchement dans l’eau facilite la transition entre le monde intérieur et le monde extérieur pour le bébé. Il avance que l’accouchement dans l’eau permet d’aider la femme à dilater et à contracter plus calmement tout en aidant à relâcher le périnée. La douleur était ainsi diminuée et la mobilité de la future maman plus facile grâce à l’apesanteur. Ce type d’accouchement n’est plus pratiqué dans les hôpitaux de nos jours au Québec mais il est encore offert par les sages-femmes en maison de naissance ou à domicile.

Toujours dans les années 1970, Fernand Lamaze, un neurologue et obstétricien français, a amené la fameuse méthode Lamaze très connue et mainte fois reprise au cinéma. Elle vise un contrôle de la douleur par des techniques de relaxation et de respiration dite «respiration du petit chien». Il insiste également sur l’implication paternelle et le soutien à la mère pendant l’accouchement.

Le manque d’humanisation des naissances dans les sociétés occidentales amorcée depuis la fin du moyen âge influence encore aujourd’hui notre façon de percevoir ce moment clé de notre vie.

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Quel futur pour la naissance ?

On peut donc bien voir que cette perte d’humanisation des naissances dans les sociétés occidentales amorcée depuis la fin du moyen âge influence encore notre façon de percevoir ce moment clé de notre vie. Il nous est cependant possible de ramener un peu de physiologie et d’humanité dans ce processus. De continuer ce virage des dernières décennies qui vise à ramener le caractère normal de cette expérience. Il n’est pas nécessaire pour l’homme de se rendre dans un système ou la parentalité serait mise à l’écart des parents. Dans un univers stérile et aseptique où l’homme ne sait plus être lui-même. Donner la vie, faire naître l’amour sont à la base des fondements de la parentalité et c’est ce dont les enfants ont besoin. Des parents confiants, aimants, qui sont là pour lui.

Il appartient à chaque femme de déterminer ce qu’elle désire, pour elle et son bébé, pour son accouchement. Elle est en droit de vivre cette expérience selon la meilleure façon pour elle. L’important n’est pas tant la manière qu’elle choisit pour le vivre mais plutôt le fait qu’elle ait eu le choix et qu’elle soit libre de l’exercer.

Nicolas Lacroix Pépin, Accompagnant à la naissance, 

Nicolas Lacroix-Pépin est Thérapeute scientifique, spécialiste en périnatalité, passionné par le merveilleux monde de la grossesse et les poupons.

Dans ce domaine depuis 2009, il a complété une maîtrise suivi d’un doctorat en Médecine Moléculaire et le sujet de sa thèse était centrée sur les hormones et l’utérus.

Il est un des premiers accompagnant à la naissance formé au Québec. Il est allie la massothérapie, la relation d’aide, l’hypnose et les soins Rebozo afin d’offrir des outils thérapeutiques aux nouvelles familles. Avec ce bagage autant humain que scientifique, il a une vision très globale de la périnatalité.

Ses services sont offerts en français et en anglais.

Pour contacter Nicolas Lacroix Pépin, je vous encourage vivement à aller visiter son site web ou à le contacter via sa page Facebook.


Nicolas a été le premier Accompagnant à la naissance formé au Québec. Je le remercie de collaborer avec toujours autant de passion et d’enthousiasme sur le blogue.

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