Allaitement: ce corps qui refuse de coopérer

Allaitement: ce corps qui refuse de coopérer

Il y aurait bien des façons de débuter ce récit, mon récit, notre récit…

Il y avait plusieurs dénouements possibles à notre histoire, mais celui qui nous appartient m’a profondément touché voire même un peu blessée. Encore aujourd’hui, après nos sept mois d’allaitement, j’ai ce goût amer qui me tenaille.

J’avais pourtant vécu une première «expérience» avec l’allaitement de ton frère. Je me suis ardemment battue, j’ai donné le maximum selon mes connaissances, trop peu élaborées à vrai dire par rapport à ce que je sais aujourd’hui.

À chaque jour, chaque moment, chaque tétée, je ne pouvais pas en profiter pleinement. Mon cœur avait mal, il a encore mal.

Mal de ce corps qui, visiblement, refusait de coopérer.

Un seul souhait m’habitait, que l’histoire ne se répète pas avec toi, mais voilà, c’est arrivé… A l’époque, j’avais attribué l’échec de ce premier allaitement à divers facteurs. Tantôt je croyais que le problème venait de la péridurale, à d’autres moments je pensais que c’était dû à un mauvais démarrage et que je n’avais pas consulté assez rapidement en ostéopathie pour bébé ou avec la consultante en lactation… En aucun cas je ne pouvais attribuer cette incapacité d’allaiter exclusivement à une défaillance physique.

En décembre 2015, je suis devenue maman une seconde fois et c’est le cœur rempli d’amour pour toi, que j’ai choisi une fois de plus de tout donner…Les premiers jours, encore pleine d’endorphines, tout me semblait bien aller. Tu avais presque repris ton poids de naissance et je ne comptais pas les heures. J’éprouvais tant de bonheur. Mais voilà, tu te doutes bien que ce n’était que passager. Tu ne prenais pas assez de poids. Tu pleurais beaucoup, tes selles étaient nombreuses et plutôt vertes, je commençais à m’inquiéter.

On m’a dit que tu ne recevais pas suffisamment de gras de fin de tétée. On m’a dit que je devrais prendre des produits naturels et de la médication pour augmenter ma production lactée. On m’a également donné tout un protocole à faire tous les jours avec mon tire-lait électrique double, un dispositif d’aide à l’allaitement (DAL) pour que tu reçoives plus de quantité de lait…

Allaitement : ce corps qui refuse de coopérer | Cocoon Bien Naître
©Pascale Gauthier Photographe

Et soudain, ce qui normalement est si naturel le devient beaucoup moins. J’ai alors eu cette impression d’être «mécanisée», défaillante, remplaçable.

À chaque tétée je n’étais plus capable de profiter de l’instant présent, je ne prenais plus le temps de te regarder, de scruter tes moindres petites mimiques. Je ne voyais plus le «beau». J’éprouvais tant de difficulté à vivre notre situation. Moi qui avais tant rêvé de ces moments partagés, de ce lien si fort que l’on crée.

J’ai mis un long moment à réaliser que j’étais probablement en train de sombrer, la fatigue ayant raison de moi. Non pas la fatigue d’allaiter, mais plutôt tout ce que je devais faire pour te nourrir pour éviter de te donner le biberon. Ce qui est semblait si facile pour la grande majorité des femmes m’était alors impossible. Je réalisais alors que j’étais face à un corps qui refuse de coopérer, je lui en ai voulu, je m’en suis voulu. Je me suis mise à penser que j’aurais pu faire autrement, que j’avais dû, une fois de plus, loupé quelque chose. Je disais aux autres que j’acceptais la situation, mais je mentais. Je considère aujourd’hui que j’ai «fait avec».

J’ai fini par lâcher toutes ces techniques censées augmenter la lactation. C’était mieux pour mon psychique. J’ai finalement commencé à voir chaque tétée et chaque jour comme une victoire bien à nous, puis j’y ai retrouvé goût. Ce plaisir à te regarder les yeux dans les yeux, le sourire quand s’échappe une toute petite goutte de lait.  J’ai repris goût à ces moments de tendresse, à notre aventure lactée, à cette complicité qui nous unis. Je me suis mise à oublier que mon corps était en quelque sorte « incomplet » et j’ai simplement continué. Persévéré aux yeux de certains, acharné pour d’autres, mais au bout du compte je suis fière d’avoir été au-delà. Au-delà des préjugés, des conseils que je n’avais pas demandés, au-delà de nos difficultés, pour qu’à chaque lendemain, je te donne le meilleur de moi-même.

Pour nous l’allaitement mixte n’a pas été un choix, mais plutôt une nécessité afin de te nourrir suffisamment. Peu à peu, la blessure dans ma tête cicatrise et j’espère qu’il en sera de même pour celle dans mon cœur.

Nous voilà à sept mois d’allaitement, la diversification alimentaire étant amorcée, je garde espoir pour que nos moments de bonheur lacté perdurent. Je garderai à jamais ces souvenirs mémorables qui font partie de notre aventure.

Marie-Pierre Mailhot

Et vous? Avez-vous eu des difficultés avec votre allaitement?

 


Je tiens à remercier chaleureusement Marie-Pierre pour son témoignage, ainsi que Pascale Gauthier Photographe de m’autoriser à vous partager son travail.

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9 réflexions sur « Allaitement: ce corps qui refuse de coopérer »

  1. Merci !! Votre récit est émouvant, cette solitude, ces reproches que l’on nous fait parfois sur l’acharnement à l’allaitement, que l’on se fait aussi, qui prennent le pas sur ces moments magiques…
    Dans une moindre mesure, les choses se sont passées de la même manière pour nous. Manque de connaissance de ma part, conseils contradictoires lors de la préparation à l’accouchement et ensuite… Jusqu’au médecin me disant que si mon bébé ne grossissait pas suffisamment bah… Arrêt de l’allaitement ! Que de peurs et d’angoisses !
    Je suis passée par l’utilisation d’un tire lait pour augmenter la production, nous avons dû introduire un allaitement mixte, entraînant beaucoup de culpabilité et, car il faut y penser aussi, de nettoyage de tire lait et de biberons qui prennent un temps fou tant cela est fréquent dans une journée. On finit comme vous le dites par être mécanisées, tellement les mêmes gestes reviennent toute la journée entre les soins du nourrisson et la vaisselle…
    J’ai moi aussi fini par dire stop, nous avons tenu avec l’allaitement et un peu de compléments jusqu’à la diversification à 5 mois, puis reprise douce de travail qui s’est passé de la même manière. Ensuite arrêt petit à petit pour proposer des tétées le matin le soir et la nuit. Vers 8 mois j’ai arrêté le matin, et nous avons continué le soir jusqu’à ses 11 mois.
    Aventure douloureuse, mais tant bien que mal je suis arrivée au bout et me suis écoutée et ai écouté mon bébé quant à l’évolution et l’arrêt de l’allaitement. J’y tenais ! Il a maintenant 13 mois, se porte comme un charme. Petite anecdote, je n’ai pas de balance chez moi, car après tout ça j’ai encore une peur tapie au fond de moi, mais infondée et que j’essaie de relativiser car il va bien !
    Merci pour ce partage !

  2. Récit magnifique que j’aurai pu écrire moi-même! Parce que, ne l’oublions pas, certaines d’entre nous n’ont pas le choix de donner du lait artificiel pour des causes primaires et non circonstancielles.
    4 mois d’allaitement mixte ici pour l’instant dont 3 à avoir eu honte de donner des biberons de lait artificiel à l’extérieur, à penser que j’avais loupé quelque chose, à tout essayer (compléments alimentaires, médicaments, tire lait, …). Merci à Erica de La Leche League de m’avoir fait connaître l’hypoplasie mammaire et de m’avoir réconciliée avec le biberon et mon corps, ce corps qui n’a pas pu concevoir mon bébé sans aide médicale et ne peut pas le nourrir exclusivement… j’espère aller jusqu’au sevrage naturel (soyons positifs, qui sait?) mais c’est Dame nature qui décidera de la fin… en attendant je profite de mon p’tit Titi de Timothy à chaque instant. ❤❤❤ courage mamans! Ne lâchez rien!!!

  3. Merci pour ce témoignage émouvant.

    L’allaitement mixte…. si encore elle acceptait le biberon. Ici, je suis pognée avec un allaitement qui ne marche pas bien depuis 7mois… et la seule alternative est la cuillère, depuis qu’elle a 3mois 1/2. J’ai jamais compris pourquoi je n’avais que peu, voir jamais, ces moments de tendresse lors de l’allaitement. Mes douleurs chroniques depuis 10 ans ont-elles eut à ce point une influence, étant donné que je ne pouvais rester que 15minutes assise à l’allaiter? Mon besoin d’indépendance a-t-il marqué négativement ce lien? Mon ambiguïté envers le principe de l’allaitement, qui malgré tous les bienfaits est tellement exigeant pour la femme?

    C’est pas que je manque d’Amour pour elle pourtant. Mais avoir une petite fille qui hurle dès qu’on la met au sein, qui te frappe même et qui hurle de nouveau dès qu’on l’enlève du sein… me semble c’est un peu tôt pour une crise d’adolescence. C’est un peu tôt aussi pour de l’anorexie, car bien vite, le poids a stagné sur la courbe. Et avoir aucune autre possibilité, c’était vraiment se sentir piégées, pour moi et pour elle. On a fait tout ce qu’on nous a dit: couper les freins, changer de position, tirer mon lait pour qu’elle en ai moins d’un coup, allaitement debout en marchant, en chantant, traitement du reflux inexistant,….. D’ostéopathes en conseillères en allaitement, de médecins en clinique spécialisée d’allaitement, me suis sentie idiote, égoïste, infantilisée bien souvent devant tous ces gens. Et surtout peu écoutées. L’allaitement c’est certes naturel, mais ça ne veut pas dire simple.

    Tout ça pourquoi? Parce que la cuillère et l’alimentation solide est un démon dans notre société (en clinique d’allaitement on a préféré lui donner un médicament, plutôt qu’une cuillère). Parce que les courbes sont des dictats sur lesquels se conformer. Au final, on va pas se le cacher, c’est une petite fille super en santé, dynamique, curieuse et joyeuse que j’ai (entre les boires). Une petite fille en avance du côté moteur et verbal. Une petite fille qui compense son besoin d’affection lors des calins et des massages. En fait, c’est même une petite fille trop curieuse, alors pour elle, la cuillère, les nouveaux goûts/textures, c’est bien plus intéressants que le sein de maman, la face pognée sur elle, alors qu’il y a tout un grand monde à découvrir. Parce que peut-être aussi que le problème était le réflexe d’éjection, et que la cuillère n’a pas ce problème, sauf quand elle s’en sert. Mais comme sur le réflexe d’éjection il n’y a pas grand chose à faire (d’après mes lectures) alors il y a peu de professionnels qui en parlent: c’est dur de reconnaitre son impuissance.

    Au final, j’ai annulé mes RDV, arrêté de comparer les mesures, de médicaliser mon problème. J’ai arrêté d’en parler autour de moi, de me poser des questions. J’ai arrêté de chercher du soutien car celà signifie que c’est LA chose à faire, l’allaitement. Je suis partie à l’étranger où le congé maternisant est tellement court que l’allaitement s’arrête beaucoup plus vite. J’ai accepté de suivre cette petite fille qui ne ferait pas comme les autres, et de fait, accepté d’être cette maman qui ne ferait pas comme les autres. J’ai arrêté de penser que tout ce passait à ce moment, que si je l’allaitais pas le ciel allait lui tomber sur la tête, que si elle ne recevait pas sa dose d’amour elle allait être une enfant dysfonctionnelle, que si que si…. J’ai arrêté de chercher de qui c’était la faute. J’ai mis l’intuition et la confiance dans ma bienveillance en numéro 1 de mes préoccupations.

    Oui, on est toujours prises avec l’allaitement de nuit, et certaines journées. Mais je sais maintenant que si ça ne se passe pas bien, j’ai une compote préparée avec amour pour elle dans le frigo et 2 cuillères propres: une pour moi, et une pour qu’elle joue avec.

    1. Ton expérience est aussi touchante Nanoulounchka, on se sent parfois si impuissante, bravo pour etre la maman que tu es!

  4. Ça n’est que mon expérience mais ici mon bébé a pleuré pendant 6 mois jours et nuits. On remettait en cause mon allaitement… J’ai complete ce qui se passait pendant des vacances oú j’ai abusé des produits laitiers et vu les selles vertes et stagnation de poids. A l’aide d’une allergologue j’ai fait une éviction totale des produits laitiers et… Mon fils est transformé ! À chaque loupé, un bon dans le passé alors on fait attention à tout maintenant. J’ai préservé pour allaiter, je savais que quelque chose clochait mais je n’ai jamais lâché, on m’a pourtant prescrit du substitut de lait maternel et même force mon fils a en boire et il a toujours refusé. Heureusement au final vu qu’il est intolérant !

  5. Veuillez m’excuser pour les fautes ci dessus, clavier anglais qui corrige automatiquement… A lire au lieu de “complet”: “compris”; au lieu de “bon”: “bond” et au lieu de “préservé”: “persévéré”! Sans oublier le manque d’accents, navrée

    1. Pour ma part on m’a suggére que ca pouvait être une intolérance à cause des selles.. Mais comme elle prenait du lait artificiel régulier et que ses selles étaient ok, jai enrayé cette possibilité… Je crois réellement au manque de lait primaire… D’autant plus que mon histoire s’est répété …les gens ont plus tendance à croire aux intolérance qu’au manque de lait.. Pourtant Ca existe réellement

  6. ah, l’allaitement mixte force…courage a toutes….le plus dur c’est la culpablite de ne pas y arriver, le sentiment d’etre differente des autres femmes…nous sommes toutes differentes…

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